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(de l'idéogramme à l'alphabet)

écritures alphabétiques

Ɖông kinh nghĩa thục

Au début du XXe siècle, période de bouleversements politiques et économiques, les Vietnamiens, épris de culture et au sens patriotique développé, éprouvent le besoin de développer l'usage d'un procédé de transcription, plus pratique et plus adapté que le chữ nôm. Ce sera le chữ quốc ngữ , l'écriture de la langue nationale, transcription maintenant adoptée comme écriture nationale.

Ce courant a été lancé par un groupe de lettrés modernistes réunis au sein d'une association activiste luttant contre la colonisation et pour la modernisation de la société. C'est le Ɖông kinh nghĩa thục (東京義塾) ou École hanoïenne de la juste cause , créé en 1906 par le lettré réformiste Lương Văn Can (1847-1927), rapidement interdit par l'autorité coloniale qui bannira les cours clandestins de plus de cinq personnes et condamnera les dirigeants, dont Lương, emprisonné plus tard à Poulo-Condor.

Symbole du Ɖông kinh nghĩa thục

Le symbole de l'École hanoïenne de la juste cause : un jeune Vietnamien souriant portant le globe terrestre. (1907)


Une des formes d'actions préconisées par ce mouvement a été la diffusion du quốc ngữ comme moyen d'instruction, de sensibilisation à la modernité et de prise de conscience de la valeur de la civilisation vietnamienne. Une chaîne de petites écoles est créée pour donner des cours de vulgarisation, complétés par des manuels et des ouvrages, dont un manuel de lecture littéraire dans lequel figurait une chanson vantant les mérites de l'apprentissage du quốc ngữ tout autant que la valeur du patriotisme, le respect des femmes, les méfaits de l'alcoolisme. C'est un hymne en faveur de l'ouverture d'esprit mais aussi de la révolte contre l'oppression coloniale :

Apprenons le quốc ngữ!

Bài hát khuyên học quốc ngữ

Chanson pour inciter à apprendre le quốc ngữ

Fac-similé du texte manuscrit, paru dans les publications de l'École hanoïenne de la juste cause (1907).


Pour être un homme digne en ce monde,
il faut s'efforcer de promouvoir l'image du pays.
...
L'écriture romanisée de la langue nationale est l'essence du pays,
Il faut faire en sorte de la répandre dans la population,
Qu'il s'agisse des ouvrages occidentaux comme de ceux de la Chine,
Quelle que soit la langue d'origine, la langue nationale en donnera une traduction claire.
Paysans, artisans, depuis des lustres, ont des chemins tout tracés,
S'unir nous permettrait de plus facilement vaincre nos appréhensions,
Asie, Europe ensemble dans un même creuset,
Cela façonnera une nouvelle personnalité, celle d'un individu à part entière.
Pour une personne qui étudie, des milliers ont ainsi accès au savoir,
D'un esprit éduqué pourra naître des milliers d'actions bénéfiques,
Nous tenons nos droits entre nos mains,
Le chemin du progrès conduit à des jours prospères.
Le tintement de la cloche de l'indépendance interromp les discours,
Les pétards saluent le réveil des Mers du Sud.

Les publications de l'École hanoïenne de la juste cause sont diffusées à l'occasion des cours gratuits d'apprentissage du quốc ngữ qui auront rapidement un grand succès car le principe pédagogique était de s'appuyer sur la connaissance de la langue orale, comme en témoignent les extraits du manuel présentant l'introduction à la pratique de la transcription.

A priori, le choix de la transcription romanisée comme support de propagation du mouvement nationaliste anticolonialiste peut paraître surprenant : cette écriture n'est-elle pas le symbole des étrangers qui voulaient faire du Vietnam le terrain privilégié de leur politique de mission civilisatrice.

Le système du quốc ngữ a subi une longue évolution qui en fait, en ce début du XXème siècle, un excellent outil de vulgarisation des idées et des connaissances avec un avantage décisif sur le Nôm : son apprentissage est facile pour les locuteurs natifs, de même que son impression. De plus, les caractères chinois représentaient le poids de la tradition d'un confucianisme figé, détourné de ses idéaux originaux - bâtir l'avenir en s'appuyant sur le passé -, le choix de ces lettrés patriotiques (văn thân yêu nước) de faire la révolution de l'écriture s'explique donc aisément. C'est une volonté qui sera confirmée en 1955 quand il s'agira de choisir la langue et l'écriture nationales du Vietnam.

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l'origine du quốc ngữ

Le point de départ de cette transcription remonte au XVIIe siècle lorsque les missionnaires voulurent mettre au point leur méthode d'évangélisation des habitants de ce qui était, à l'époque, le Ɖại Việt, divisé en deux principautés, celle des Trịnh au Nord et celle des Nguyễn au Sud.

La période de mise au point initiale du quốc ngữ se situe entre 1620 et 1660. Elle est le fait principalement d'européens, pour la plupart portugais. Le premier missionnaire à avoir rédigé des mémoires sur la langue du Vietnam est le jésuite portugais Francisco de Pina, né en 1585 à Guarda, arrivé en Cochinchine en 1617 (il mourra des suites d'un accident de barque en baie de Da Nang, le 16 décembre 1625). Destiné à servir au Japon, il en avait appris la langue au Collège de Macao de 1611 à 1617 et avait été initié, de ce fait, à sa forme romanisée, le rōmaji. Dès son arrivée sur les côtes vietnamiennes, il étudie la langue et les problèmes de notation des sons, y compris les tons qui, en modulant systématiquement les aspects vocaliques, peuvent faire varier la signification des mots.

Son travail de linguiste est attesté par un courrier qu'il a fait parvenir à ses supérieurs de Macao, dans les années 1622 ou 1623 et qui figure, sous la forme d'une copie manuscrite datant du XVIIIe siècle, dans les archives portugaises du palais d'Ajuda de Lisbonne, dans la collection Jesuitas na Asia. Pina, parlant de la nécessité de former les futurs missionnaires à la langue vietnamienne, indique les travaux qu'il est en train de réaliser dans ce domaine, en particulier un traité de phonétique, un précis de grammaire et un recueil de textes. Il écrit : En ce qui me concerne, j'ai rédigé un petit traité sur l'orthographe et les tons de la langue et je suis en train de composer une grammaire. (voir, pour plus d'informations, le mémoire de DEA de Roland Jacques L'œuvre de quelques pionniers portugais dans le domaine de la linguistique vietnamienne jusqu'en 1650, INALCO - novembre 1995). C'est à ce prêtre que reviendra l'honneur d'initier le jésuite Alexandre de Rhodes à la langue vietnamienne, l'homme considéré comme le père du quốc ngữ.

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Alexandre de Rhodes

Né en Avignon en 1593, il débarque sur les côtes du centre du Vietnam en 1624.


Carte du Vietnam au temps d'Alexandre de Rhodes

Carte présentant la situation administrative et politique du Vietnam au temps d'Alexandre de Rhodes (1645)


Après plus de 20 ans passés en Cochinchine, au Tonkin et à Macao, A. de Rhodes retourne en Europe où il publie les premiers ouvrages occidentaux sur la langue vietnamienne. En 1651, son dictionnaire trilingue (vietnamien, latin et portugais) Dictionnarium annamiticum, lusitanum et latinum sort à Rome, accompagné d'un petit traité de grammaire Linguæ Annamiticæ seu Tunchinensis brevis declaratio

Petit traité de grammaire / Alexandre de Rhodes - 1 Petit traité de grammaire / Alexandre de Rhodes - 2

Fac-similé de la page de garde du petit traité de grammaire d'Alexandre de Rhodes (Rome 1651)


Les travaux d'Alexandre de Rhodes sont complétés par un manuel de catéchisme Cathechismus pro iis, qui volunt suscipere Baptismum, in octo dies divisus publié à Rome en 1651, en présentation bilingue vietnamien-latin.

Catéchisme / Alexandre de Rhodes - 1 Catéchisme / Alexandre de Rhodes - 2

Fac-similé de la première page du catéchisme d'Alexandre de Rhodes (Rome 1651)


Les œuvres d'Alexandre de Rhodes ont données une codification de la transcription du vietnamien parlé qui, pour la plus grande partie, reste valable dans l'écriture en utilisation en cette fin du XXe siècle.

Le système est bâti autour de l'utilisation des éléments de la prononciation du portugais et, pour une moindre part, de l'italien, avec une batterie de signes diacritiques pour représenter les 6 différents tons.

Dictionnaire... / Alexandre de Rhodes - 1 Dictionnaire... / Alexandre de Rhodes - 2

Fac-similé de deux entrées, avec la traduction en quốc ngữ actuel, du dictionnaire d'Alexandre de Rhodes


Pendant plus de trois siècles, la transcription romanisée restera exclusivement en usage dans les milieux catholiques. Les missionnaires des Missions étrangères de Paris continueront à l'étudier et à le perfectionner en publiant des manuels, des grammaires et des dictionnaires.

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le quốc ngữ au 20e siècle

Avec la colonisation française qui suit les expéditions militaires de 1858, le monde administratif, les enseignants, les scientifiques s'intéressent à leur tour à cette écriture et à son génie, comme l'atteste M. Abels des Michels, premier professeur titulaire de la chaire d'annamite à Paris, dans son ouvrage Dialogues cochinchinois, publié à Paris en 1871.

Dialogues cochinchinois / Abels de Michels

Reproduction de la couverture des Dialogues cochinchinois d'Abels des Michels (Paris 1871)


Cours d'annamite / Trương Vinh Ky

L'engouement des lettrés modernistes du Ɖông kinh nghĩa thục de 1907 va être préparé par le travail d'un groupe de précurseurs vietnamiens, dont le plus célèbre est le savant polyglotte Pétrus Trương Vĩnh Ký à qui l'on doit une des premières méthodes de vietnamien à l'usage des fonctionnaires français : Cours d'annamite parlé (vulgaire) Saigon, 1894.

Après l'élan donné par le mouvement de l'École hanoïenne de la juste cause, le succès du quốc ngữ va être assuré par le développement du journalisme et de la littérature moderne en vietnamien, dont l'impression se fera quasi exclusivement en écriture romanisée. Le quốc ngữ deviendra ainsi, malgré les obstacles d'une partie des autorités coloniales, le principal vecteur de la modernité et de l'affirmation du nationalisme militant.

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